Maisons et palais de la place (Pt 2)

S’écouter un audioguide sur l’arrière-plan de la place de la Vieille-Ville, plutôt deux fois qu’une. Déjà, parce que c’est l’un des lieux les plus agréables de Prague, malgré sa fréquentation touristique considérable. Et puis à l’évidence, sur cette véritable scène géante, il y en a des choses à observer.

Je vous propose de tourner le dos au mémorial de Jan Hus, et de focaliser votre regard sur l’intéressante juxtaposition de maisons et palais qui s’alignent devant vous. De gauche à droite, voici les bâtiments qui contribuent à ce ravissant décor.

Nommé en l’honneur de ses anciens propriétaires, l’une des familles les plus puissantes de l’Empire austro-hongrois, le palais Kinský est sans doute le plus bel exemple d’architecture baroque tardif, ou rococo, de Prague. Il fut construit entre 1755 et 1765 et se reconnaît entre mille de par sa façade rose poudrée, chargée en stuc et agrémentée de statues d’Ignác František Platzer, sculpteur baroque allemand du XVIIIe siècle.

Visuellement, le palais Kinský ne nous déçoit pas. Et historiquement, sachez que c’est pareil. C’est lui qui a vu naître en 1843, la pacifiste autrichienne Bertha von Suttner, première femme titulaire du prix Nobel de la paix. De 1893 à 1901, le célèbre écrivain Franz Kafka fréquenta le lycée germanophone installé au deuxième étage de la bâtisse. Et au rez-de-chaussée, son père, Hermann, tint une mercerie de 1912 jusqu’à sa mort.

En février 1948, c’est aussi au palais Kinský, et plus précisément de son balcon, que Klement Gottwald, ancien homme d’État de Tchécoslovaquie, aurait prononcé un discours sur l’avènement du communisme, et par conséquent le début d’un régime totalitaire qui s’étalera sur plus de 40 ans. Reconstruite entre 1995 et 2000, l’adresse historique est à présent ouverte au public en tant que librairie et annexe de la Galerie nationale de Prague, où est exposée une collection d’œuvres antiques et asiatiques.

Parler de cette institution, nous amène obligatoirement à vous introduire un autre joyau de la place. La bâtisse à droite du palais Kinský. Avec son apparence austère, bien loin des codes du baroque, elle dénote de l’ensemble architectural auquel nous vous avons habitué jusque-là. Mais ce que vous ignorez, c’est que cette singularité de style, l’édifice ne l’expose que depuis peu.

En effet, au début des années 1960, des fouilles ont permis de mettre à jour le vrai visage de celle que l’on appelle ici, la Maison à la cloche de pierre. Derrière une façade néo-baroque du XIXe siècle, se cachait en réalité cet exceptionnel témoignage gothique datant du XIIIe siècle.

Les sculptures d’ornement, l’iconographie et les autres éléments de décoration laissent croire que l’édifice aurait été construit en tant que palais pour la famille royale. Comprenez Jean de Luxembourg, roi de Bohême de 1310 à 1346, et son épouse, Élisabeth de Bohême, sœur du roi Venceslas III, mort sans héritier en 1306. Une théorie dont la véracité n’a pu être prouvée suite à un réel manque de documentation de cette époque-là.

Et autour des origines du nom du bâtiment, c’est un peu le même constat. Au détail près, qu’à l’angle de droite du monument se trouve bien une cloche en pierre. Celle-ci occupe la place d’une ancienne version qui aurait joué un rôle considérable en 1310, lorsque les forces armées du roi Jean de Luxembourg réussirent à pénétrer dans la Vieille Ville.

Berenguer, aumônier de la reine Élisabeth de Bohême, aurait fait sonner la cloche pour indiquer au monarque qu’il pouvait venir retrouver son épouse et conquérir Prague sans violence. Il est aussi dit que Charles IV, son fils, aurait séjourné derrière ses murs en 1333, lors de son retour en Bohême, le temps que la rénovation du château de Prague se termine.

Fastidieusement restaurée entre 1975 et 1987, la Maison à la cloche de pierre est aujourd’hui mise au service de la Galerie nationale de Prague, qui y organise des expositions d’artistes modernes et contemporains, tchèques et du monde entier ainsi que des concerts. Et dans le sous-sol, un petit lapidarium regroupe des fragments architecturaux et artistiques de l’édifice original. Oui, si vous le voulez, tout un programme vous attend.