Cimetière de Recoleta

Mais le clou du spectacle dans ce quartier, c’est lui : Le Cimetière de Recoleta. Cette ville miniature, mini musée d’art aux tombeaux hallucinants, est rapidement devenue une visite incontournable de la ville.

Au temps où Recoleta appartenait encore aux moines récollets, il y avait déjà un petit cimetière appelé alors Cementerio del Norte. En 1822, lorsque le quartier est rattaché à la ville, le gouvernement confie à deux architectes français, Prosper Catalin et Pierre Benoit, d’aménager un nouveau cimetière.

C’est important parce que ça veut dire que c’est le premier cimetière qui appartient à l’État et non à des congrégations religieuses comme c’est normalement le cas. Du coup, toutes les grandes familles se dépêchent d’y acheter des concessions, pour finir leurs jours entre eux et pas au milieu du peuple dans les cimetières des églises. Le nouveau cimetière faisait fureur au début du siècle ! Tant et si bien que l’on a dû par deux fois pousser ses murs d’enceinte.

Vous pouvez comparer le cimetière de Recoleta à celui du Père-Lachaise. On s’y promène librement pour admirer les mausolées et payer ses respects aux grandes personnalités disparues. Le cimetière compte 4.691 tombes dont 90 sont classées monuments historiques ! Ce sont de vrais chefs-d’œuvre et les légendes vont bon train.

Vous verrez, par exemple, sur la tombe de Salvador del Carril, ex-vice-président du pays, un détail étonnant. En effet, lui et sa femme sont tous deux représentés, dos à dos ! La légende voudrait qu’un beau jour, Salvador del Carril, excédé par les dépenses inconsidérées de sa femme, décide de lui couper l’herbe sous le pied, et ordonne à tous les marchands de Buenos Aires de refuser de vendre quoi que ce soit à sa femme. Furieuse, on dit qu’elle ne lui a plus jamais adressé la parole.
À la mort de son mari et à la surprise générale, elle lui fait édifier un beau mausolée. Mais ce n’était que sa façon de lui montrer son ressentiment éternel puisqu’elle le fait représenter dans un fauteuil regardant l’horizon, et elle, le visage sévère, lui tournant résolument le dos pour l’éternité.

Mais l’histoire la plus incroyable est celle de la dépouille d’Evita, dont le tombeau est clairement le plus visité en dépit de sa sobriété. Lorsque la première dame la plus appréciée de l’histoire du pays, incarnant à elle seule la soif de justice sociale qui monte en Argentine, meurt subitement des suites de son cancer à 33 ans, les Argentins sont en émoi. Son corps est embaumé et exposé au siège social de la CGT, là où elle menait ses combats populaires. Lorsque les militaires renversent le président Perón et plongent le pays dans la dictature, le corps d’Evita est séquestré, profané puis caché.

Ce corps embaumé est une menace pour les militaires et rendez-vous bien compte de l’ampleur de leur peur, il est interdit, par décret, de prononcer le nom d’Evita. La junte militaire, très catholique, n’ose pas détruire son cadavre et préfère la faire disparaître en la livrant secrètement aux autorités vaticanes. Treize ans plus tard, alors que Juan Perón vit en exil à Madrid, la dépouille de sa défunte femme lui est enfin rendue. Puis, en 1973, à la fin de la première dictature de la Révolution argentine, qui précède les quatre juntes qui auront lieu entre 1976 et 1983, Perón rentre d’exil, est réélu président de la République, et meurt neuf mois plus tard.

Sa nouvelle femme, Isabel, reprendra le flambeau du pouvoir et dans un élan de reconquête patriotique, fera rapatrier le corps d’Evita qui peut désormais reposer, enfin tranquille, dans son tombeau de famille. Depuis la crise économique qui a suivi la pandémie du Covid-19, l’entrée n’est plus gratuite et une participation vous sera demandée, si vous voulez aller explorer le fameux cimetière de Recoleta.