La colonne d’Orlando

Cela fait plus de six siècles qu’Orlando veille sur la place Luža. Sculptée dans un seul bloc de pierre en 1417 par un architecte milanais, cette colonne apparemment modeste cache en réalité une symbolique puissante.

Devant vous se tient Roland (ou Orlando, comme on l’appelle ici), en chevalier, l’épée à la main et le bouclier au bras. Ce chef militaire servit Charlemagne avant de trouver la mort en 778, un épisode rendu célèbre par le poème épique La Chanson de Roland. À partir de là, Roland devint une figure légendaire du Moyen Âge et de la Renaissance, jusqu’à inspirer Shakespeare pour son personnage d’Orlando dans Comme il vous plaira. Partout en Europe centrale et dans le nord de l’Allemagne, il incarne la lutte pour la liberté contre la tyrannie et l’injustice.

Dans le monde germanique, il est même devenu un symbole des droits civiques, si bien que des « statues de Roland » ont fleuri dans de nombreuses villes aux XIVᵉ et XVᵉ siècles. Mais ici, à Dubrovnik, nous sommes bien loin de la Baltique : c’est la seule statue de Roland dans tout le bassin méditerranéen. Une légende locale raconte qu’un chevalier nommé Roland aurait défendu la ville contre un siège sarrasin au IXᵉ siècle. Bien sûr, les dates ne coïncident pas avec la vie du véritable Roland, mais c’est quelque chose de commun au Moyen-Âge, on adapte une figure héroïque à une histoire locale pour renforcer le prestige de la cité.

Mythe ou réalité, ce symbole a pris tout son sens pour la République de Raguse, qui dut défendre son indépendance aussi bien face aux invasions d’autrefois que pendant la guerre d’indépendance croate et le siège de Dubrovnik dans les années 1990. À l’origine, la colonne servait de plate-forme pour lire les proclamations publiques.

Rapidement, elle s’est vue attribuer une autre mission : porter fièrement le drapeau de la ville. Plusieurs fois fragilisée par le temps, elle reste aujourd’hui un rappel puissant : les droits civiques sont précieux, fragiles, et méritent d’être défendus sans relâche.